mercredi 5 juillet 2017

Petite contribution personelle à une étude de cas kiné . . . sur ma gueule !

Parler du cancer, c’est toujours très compliqué, quel que soit le point de vue adopté, ou le message qu’on veut faire passer : ce n’est plus vraiment un tabou, mais c’est encore un univers très opaque, qui fait très peur vu de « l’extérieur » surtout si on est le patient potentiel ou son entourage proche.
Et vu de l’intérieur, du point de vue des soignants, c’est un univers en mouvement permanent, en révolution constante ou les sciences et la technologie bousculent sans arrêt de fragiles bases médicales qui, font peu de cas du ressenti des patients. C’est l’une des principales raisons qui m’amène à partager mon ressenti sur les 7 ans de combat quotidien que j’ai dû livrer face à une tumeur située sur la base de la langue, détectée quelques semaines après mon 33ème anniversaire.

Ce long combat commence réellement avec l’annonce du diagnostic, qui est à lui tout seul, une bataille très complexe : le patient se retrouve assailli d’informations inquiétantes ou incompréhensibles mais il comprend vite que tout ce qui est effrayant est certain et que les rares éléments qui pourraient le rassurer un peu ne sont jamais que « probables », « théoriques » ou « potentiels ». Il n’y a que 2 instants « respirables » dans ce long entretien :
- la minute de soulagement lorsque tombe un diagnostic précis et confirmé après une interminable série d’examens.
- le moment où on vous dit qu’il existe un traitement et que vos jours ne sont pas en danger . . . pour l’instant !
Ensuite, on vous explique ce traitement en détail, alors la petite lueur d’espoir qui vient de naître se réduit déjà à très peu de chose. C’est souvent à ce moment-là qu’on commence à comprendre à quel point cette maladie va impacter tous les aspects de notre vie. Heureusement, à ce stade-là, on ne se doute pas encore que ce sera irrémédiable. Sans vous le dire clairement, les médecins vous font comprendre que ce sera long, très long, voire très très long si vous insistez en espérant obtenir des précisions !
Sur le trajet du retour, avec vos proches qui vous ont accompagné, vous commencez à dresser la liste des termes techniques – qui n’évoquent strictement rien pour vous – déjà entendus mais pas associés à une définition précise – vaguement identifiés – connus, mais totalement dénués de sens dans le contexte où ils ont été employés. Cette longue liste peut facilement amener certains patients à se dire qu’ils n’ont absolument rien compris. S’en rendre compte peut vous démoraliser un peu plus encore, mais c’est en fait très bon signe. . .

En ce qui me concerne, ça a été le signe qui a réellement déclenché mon implication totale dans ce combat dont je n’étais, jusque-là, que le terrain, le réceptacle ! J’ai commencé par me documenter sur tout ce charabia technique pour me faire ma propre idée du problème, ma propre représentation du mal qui me rongeait et de son fonctionnement. Il faut bien connaitre son ennemi pour savoir exactement comment bien lui pourrir sa vie, et accessoirement, sauver la vôtre !


A ce stade-là, on est aussi éperdument à la recherche du pourquoi de tout ça, mais, à mon avis c’est un piège : si il y en a un, il ne vous aidera en rien dans votre combat, et de toute façon, dans l’écrasante majorité des cancers, il n’y en a pas !!
Pour mener cette étrange guerre, il faut aussi identifier qui fait quoi et à qui on peut demander de l’aide selon les besoins du moment. Face au « gang des blouses blanches » dont l’attention dépasse rarement les 15 minutes par dossier, il faut éviter de perdre de l’énergie (ou ses nerfs) parce qu’elle se raréfie au fur et à mesure du traitement, et éviter de perdre du temps, parce que ça influe beaucoup plus directement sur la motivation et l’énergie lorsqu’on est en situation de grande fragilité physique et émotionnelle. A titre d’exemple, le gang qui s’est constitué autour de mon cas comprenait, dans l’ordre fonctionnel d’apparition :
- Pr Stomatologie. – Dr Radiothérapie – Dr Chimiothérapie – Leurs 3 internes respectifs – Dr Nutrition– Dr Généraliste– Dr Pharmacien – M. Coupe Feu (en remplacement du Dr Dermato pas dispo) M. Kinésithérapeute – M. Orthophoniste – M. Nutritionniste à domicile, Me. Infirmières à domicile – Dr Psychologue - Dr Conseil de la sécurité sociale (et il est bien possible que j’en ai oublié !)

A cette liste d’humains il faut ajouter un produit qui a joué un rôle capital en complément de cette équipe : la morphine ! Je me permets de dissocier cette substance du reste de l’interminable liste de médicaments que j’ai pu consommer par tous les modes d’administration connus à ce jour, parce qu’elle a occupé un statut spécial pendant près de 4 ans : on a pratiquement été marié ! Mon premier geste au réveil lui était dédié, c’est en fonction de la 3ème prise de la journée que j’organisais le repas de midi, idem pour celui du soir avec la 5ème prise de la journée, et il ne m’était tout simplement pas possible de m’endormir sans une prise un peu plus dosée que les 7 ou 8 autres de la journée.
Pour le monde médical, ce « mariage » raconte un rapport quotidien à la douleur déjà hors norme. Pour essayer de l’expliquer au reste du monde, il faut commencer par lier la récurrence de la douleur principale à chaque déglutition à cause du positionnement de la tumeur. Il faut ensuite évoquer la modification de « l’échelle de valeur des douleurs », qui plafonne normalement à «-Je sens que je vais m’évanouir ». Personnellement, j’ai découvert plusieurs paliers supérieurs allant de « - Ce serait pas mal de s’évanouir là, tout de suite !» à « -Il est où le défibrillateur le plus proche ? » en passant, entre autre, par «-je crois que mon cœur a perdu le sens du rythme ».
La touche d’humour/ironie peut surprendre sur un sujet aussi difficile à « mettre en mots » ; mais c’est également un élément essentiel à l’amélioration de mon état dans les périodes qui ont été les plus éprouvantes. L’humour et la dérision sont une sorte de morphine de l’esprit qui apaise les souffrances morales, et qui peut également adoucir le contact avec les proches ou l’équipe médicale dans les situations particulièrement difficiles.
Concernant la communication de façon plus générale, elle a toujours été très compliquée car mes capacités d’expression orale ont énormément varié pendant ces 7 années, allant jusqu’à disparaître totalement par deux fois pendant plusieurs mois. S’il est toujours possible de s’exprimer à l’écrit, on ne s’y exprime pas de la même façon et certaines choses, touchant à l’intime ou aux sentiments, sont beaucoup plus difficiles à écrire qu’à dire, que ce soit à ses proches ou à l’équipe médicale. Pour le personnel médical, chaque information recueillie auprès du patient peut avoir une importance cruciale. La nature un peu hors norme de mes données médicales m’a très vite amené à prévoir, pour chaque nouvelle prise de contact ou hospitalisation plusieurs documents imprimés pour répondre à toutes les questions récurrentes en détail, sans laisser aucune place au doute. Mais à chaque fois qu’un échange oral a été possible, mes imprimés ont été mis de côté avant d’avoir été entièrement lus, et des erreurs se sont régulièrement glissées dans mon dossier alors que j’avais fait l’effort de transmettre l’information exacte noir sur blanc. Inversement, le jargon hyper technique des professionnels de santé m’a, dans les premiers temps, souvent induit en erreur dans la compréhension des explications ou des conseils visant à améliorer mon quotidien.
La maîtrise (professionnelle) des recherches par internet m’a énormément aidé, dans la compréhension et la représentation mentale de la maladie et de mon état physique général, car les deux étaient en constante évolution.
Bien que particulièrement décrié par les praticiens hospitaliers, pour les dangers d’auto-diagnostic qu’il représente, le « syndrome Doctissimo » reflète l’énorme besoin d’information médicale que ressentent souvent les patients engagés dans de longs parcours de soins. Et c’est, à mon avis, en grande partie grâce à cette importante masse d’informations « secondaires » ou « complémentaires » qu’un patient peut aboutir à une compréhension globale, et qu’il peut réellement devenir actif dans son propre traitement.
Mais parfois, l’implication la plus complète ne suffit pas à remporter suffisamment de batailles pour retrouver un « espoir d’avenir ». Et souvent, ces victoires vous laissent un goût amer au regard des traces indélébiles qu’elles ont laissées derrière elles, comme un rappel quotidien de tout ce qu’il a fallu sacrifier de soi-même, de sa vie d’avant, uniquement pour survivre. . .
Un autre genre de bataille commence alors, pour faire évoluer ce stade de survie dans un corps exsangue, mutilé, fragilisé, vers une nouvelle vie, reposant sur d’autres espoirs, sur de nouvelles aspirations, limités par vos nouveau moyens physiologiques . . .
Petit à petit vous allez réaliser que le retour à une situation sociale «non médicalisée» et autonome est une autre guerre , tout aussi violente, car aucun adversaire ne s’opposera à vous frontalement : on dit rarement « - Non » à un « survivant du cancer », mais on ne lui dit plus jamais « - Oui » sans condition, sans restriction, sans aménagement de ce qui est normal pour un être humain en bonne santé. Il faut alors trouver une énergie monumentale pour s’émanciper un peu de ses indispensables aidants proches. Puis, prendre quelques distances avec le gang des blouses blanches et trouver un moyen de se réinsérer socialement et professionnellement ; et surtout, s’accepter soi-même avant d’essayer de se faire accepter par qui que ce soit !

Mon parcours cumule une bonne partie des problèmes « secondaires » qu’on doit affronter en même temps que le cancer, ou juste après. C'est long 6 ans d’arrêt, et pourtant, mon retour au travail à mi-temps prouve qu’il est possible de reconstruire quelque chose après le désastre, mais c’est au prix d’une détermination proche de l’obsession et d’un optimisme intégriste, pas facile à expliquer.

Je ne peux pas terminer ce témoignage sans remercier tous ceux qui m’ont soigné, aidé et accompagné dans toutes ces épreuves : c’est grâce à eux et à l’excellence du système médical français que je suis encore en vie. Notre fragile système repose principalement sur une implication humaine qui va beaucoup plus loin qu’une simple conscience professionnelle, à l’image de mon gang de blouses blanches, qui a toujours veillé à maintenir un espoir d’amélioration indissociable de la guérison-rémission elle-même. A ces formidables professionnels de la santé, je dois un merci d’autant plus particulier qu’ils ont fait tout ça avec des moyens souvent dérisoires, parfois dans des conditions surprenantes mais toujours avec une attention humaine exceptionnelle, des mots d’encouragement ou d’apaisement et un sourire rassurant, même aux pires moments de cet étrange cheminement commun.
Cette expérience a autant transformé mon corps que mon esprit, et je commence à peine à réaliser que chaque élément physiologique manquant ou défaillant correspond désormais à un apport ou une évolution intellectuelle majeur dans mon esprit !

L'étude de cas complète, avec l'article un peu tronqué en conclusion, et des photos techniques qui peuvent piquer un peu les yeux pour les plus sensibles : autant prévenir tout de suite . . .